• Cours d' "imputabilité de l'infraction dans le cadre d'un groupe" par l'ADLC

    La décision n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d’électrification et d’installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes donne à l'Autorité de la concurrence l'occasion de synthétier la jurisprudence communautaire sur l'imputabilité des pratiques anticoncurrentielles dans le cadre d'un groupe de sociétés et de préciser que cette jurisprudence s'applique quand bien même le seul droit français jouerait 

     

    La leçon est magsitrale ! nous en reproduisons les termes :

     

    342. Il résulte d’une jurisprudence constante que les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce ainsi que les articles 81 CE et 82 CE (devenus articles 101 TFUE et 102 TFUE) visent les infractions commises par des entreprises, comprises comme désignant des entités exerçant une activité économique.

     

    343. Le juge communautaire a précisé que la notion d’entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir les arrêts de la Cour de justice du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217/05, Rec. p. I-11987, point 40, ainsi que l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 55).

     

    344. Il résulte également d’une jurisprudence communautaire constante que c’est cette entité économique qui doit, lorsqu’elle a enfreint le droit de la concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de la responsabilité personnelle (voir l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 56), « sur lequel repose le droit de la concurrence de l’Union  » (arrêt de la Cour de justice du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90/09 P, non encore publié au Recueil, point 52).

    345. Ainsi, en droit interne comme en droit communautaire, au sein d’un groupe de sociétés, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les  instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques.

     

    346. Les juridictions nationales ont, à cet égard, jugé que les pratiques mises en oeuvre par une société filiale sont imputables à celle-ci dès lors qu’elle est en mesure de définir sa propre stratégie commerciale, financière et technique, et de s’affranchir du contrôle hiérarchique de la société dont elle dépend (voir notamment l’arrêt de la cour d’appel de Paris, Cemex Bétons Sud-Est, du 25 mars 2008, non cassé sur ce point ; voir également, pour un rappel de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence sur ce point, la décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en oeuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, points 408 et suiv.). A contrario, la cour d’appel de Paris a jugé que « l’imputation des pratiques d’une filiale à sa société mère, qui ne constitue qu’une faculté, peut intervenir lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome sa ligne d’action sur le marché, mais applique les instructions qui lui sont imparties par la société mère » (arrêt du 28 octobre 2010, Maquet).

     

    347. Les juridictions communautaires ont défini un régime de la preuve spécifique pour apprécier l’autonomie d’une filiale par rapport à sa mère en ce qui concerne son comportement sur le marché. Ainsi, dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption simple selon laquelle la société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Il incombe alors à la société mère de renverser la présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d’action sur le marché. Si la présomption n’est pas renversée, la Commission sera en mesure de tenir la société mère solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, points 60 et 61, solution confirmée récemment par l’arrêt General Quìmica e.a./Commission, précité, points 39 et 40).

     

    348. Si les conditions d’application de ce régime de présomption réfragable ne sont pas réunies, le juge impose à la Commission européenne de vérifier que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, et non de se contenter de constater qu’elle est en mesure d’exercer une telle influence (arrêt du Tribunal du 27 octobre 2010, Alliance One International Inc., T-24/05, point 126). Dans un tel cas, afin d’établir si une filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents propres aux circonstances de l’espèce, relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la filiale à la société mère (même arrêt, point 171).

     

    349. A cet égard, il n’est pas exigé pour imputer à une société mère les actes commis par sa filiale de prouver que la société mère a été directement impliquée dans, ou a eu connaissance, des comportements incriminés. Ainsi que le relève le juge communautaire, «ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE qui permet à la Commission d’adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés » (arrêt Alliance One International Inc, précité, point 169 ; voir également l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 59). 

    350. Ces principes, et notamment le régime de la preuve institué par la jurisprudence communautaire, s’imposent à l’Autorité de la concurrence lorsqu’elle fait application des articles 81 CE et 82 CE (devenus articles 101 TFUE et 102 TFUE) et des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce. En effet, la notion d’entreprise et les règles d’imputabilité relèvent des règles matérielles du droit communautaire de la concurrence. L’interprétation qu’en donnent les juridictions communautaires s’impose donc à l’autorité nationale de concurrence lorsqu’elle applique le droit communautaire, ainsi qu’aux juridictions qui la contrôlent.

     

    351. Sans l’exclure, les juridictions nationales n’ont pas fait application à ce jour, lorsqu’elles appliquent le seul droit interne de la concurrence, d’un régime de la preuve reposant sur l’existence d’une présomption simple d’exercice par une société mère d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale dans le cas où elle détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de celle-ci (voir l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 septembre 2010, Digicel).

     

    352. Pour autant, l’Autorité étant en mesure de se fonder exclusivement sur la présomption simple issue de la jurisprudence établie par la Cour de justice lorsqu’elle applique en parallèle les règles communautaires et les règles internes de concurrence, ce qui rend surabondante toute démonstration de l’imputabilité du comportement en cause à la société mère, il ne serait pas cohérent pour elle de rapporter la preuve de l’imputabilité du comportement de la filiale à sa société mère lorsqu’elle applique les seules règles internes de concurrence. En effet, une telle approche serait artificielle, puisqu’elle ferait varier du tout au tout le standard de preuve retenu en droit interne selon que les règles communautaires sont ou non simultanément appliquées. Il convient donc d’assurer la mise en oeuvre homogène des règles d’imputabilité lorsque l’Autorité applique le seul droit interne de la concurrence et lorsqu’elle applique simultanément le droit interne et le droit communautaire.

     

    353. Ainsi, même lorsqu’elle fait application des seules dispositions de droit interne, l’Autorité présume, dans un cas comme celui de l’espèce où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, l’exercice par la société mère d’une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale et la tient solidairement responsable pour le paiement de la sanction imposée à sa filiale. Cette présomption peut alors être combattue par les entreprises, qui ont à cet effet la possibilité de faire valoir tous les éléments de nature à démontrer que leur filiale se comporte de façon autonome sur le marché.

     

      Reste à savoir comment l'ADLC appliquera cette présomption "simple" et s'il n'y aura pas, comme en droit communautaire, dérive vers une présomption irréfragable...

     

     Cf. L. Arcelin Lécuyer, Imputabilité de l'infraction au sein d'un groupe : réception de la jurisprudence communautaire par l'ADLC : RLC n° 27/2011.

     

    Cf. L. Arcelin Lécuyer, L’influence déterminante de la société mère sur sa filiale à 100 % : une présomption (ir)réfragable : in Imputabilité – groupe – sanction, Atelier Concurrence, DGCCRF, Ministère de l’Economie, 30 mars 2010, publié à la Revue Concurrence Consommation.

     

     

     

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